La retraite : faut-il rester actif pour garder un sentiment d’utilité ?

25 juin 2025

Redéfinir l’utilité à la retraite : une question contemporaine

Passer à la retraite, c’est souvent abandonner un cadre, des horaires, un métier qui structuraient nos journées et nous “donnaient” une utilité évidente. Mais que se passe-t-il une fois la page tournée ? À l’écoute des centaines de témoignages de retraité·es ces dernières années, une question se pose : doit-on nécessairement continuer à être actif pour se sentir utile ? La réponse n’est ni simple, ni unique. Elle se décline au pluriel : celui des chemins et des désirs. Derrière cette interrogation, il y a en fait une immense richesse d’expériences, de modèles et de possibilités.

Pourquoi ce sentiment d’utilité est-il si important ?

Entre 2010 et 2018, la population retraitée en France est passée de 13 à 16 millions de personnes (INSEE). Cette part croissante de la société est frontale avec la question du rôle que l’on joue, ou pas, dans la cité.

  • Le sentiment d’utilité sociale contribue directement au bien-être psychologique. De multiples études en gérontologie (ex : enquête NCBI) montrent que l’utilité, réelle ou perçue, favorise l’estime de soi, la santé mentale et même la prévention de certains troubles liés à l’isolement.
  • Perdre son utilité professionnelle n’efface ni les compétences, ni l’envie d’agir. Les sources d’utilité évoluent, elles ne disparaissent pas. La société évolue aussi, en reconnaissant davantage la diversité des engagements possibles.

Ainsi, plus qu’un “besoin d’être actif”, c’est peut-être le besoin d’être relié, de se savoir contributeur·trice, qui ressort le plus dans les récits et études sur la retraite.

L’activité : un prolongement sous de multiples formes

L’“activité” à la retraite n’a plus la même saveur que sur le marché du travail. Il s’agit moins de performance que de plaisir, moins de rentabilité que de transmission ou d’échange. Voici comment l’expérience du “faire” se réinvente :

Engagement bénévole : la force du collectif

La France compte plus de 13 millions de bénévoles d’après France Bénévolat (rapport 2023), dont près de la moitié ont plus de 60 ans. Pourquoi cet engouement ?

  • L’utilité directe : accompagner des jeunes dans l’apprentissage du français, organiser la vie d’une association locale, tenir une permanence à la Croix-Rouge : ces actes sont modestes mais essentiels, et très valorisés par la société.
  • Un espace de lien social : le bénévolat permet de s’inscrire dans des équipes intergénérationnelles, d’animer la vie d’un quartier, de développer de nouvelles relations.
  • Une manière de transmettre ses compétences : les parcours professionnels nourrissent l’expertise des associations (gestion de projet, comptabilité, gestion RH…).

Exemple parlant : sur le réseau Entourage, plus de 35% des bénévoles “tuteurs” pour l’inclusion numérique sont des retraité·es. Ils découvrent de nouveaux usages, apprennent encore… en transmettant.

L’activité créative et culturelle

Les retraité·es sont aujourd’hui les premiers publics des médiathèques, ateliers artistiques et clubs de lecture, selon le Ministère de la Culture (dossier Statistiques 2022). Ce dynamisme ne relève pas seulement du “loisir” :

  • Le sentiment de créer, donc d’exister, nourrit la reconnaissance de soi.
  • Les expositions, spectacles et groupes amateurs facilitent le partage avec un public, petit ou grand.

Le sociologue Bertrand Bergier souligne que pour un tiers des retraité·es interrogé·es, partager une passion ou une production artistique avec d’autres ravive un authentique sentiment d’utilité (ouvrage collectif , 2019).

L’engagement familial et la “générosité invisible”

Une part massive de “l’utilité” reste souterraine… mais capitale pour la société. Le dernier rapport du Laboratoire Drees (Dec 2023) révèle que près de 60% des grands-parents français gardent régulièrement leurs petits-enfants. Ce n’est pas tout :

  • Soutien à une personne âgée dépendante du voisinage (plus de 25% des 65-80 ans aident un·e proche, données INSEE 2022)
  • Implication dans la gestion de la famille recomposée (aides administratives, médiation…)
  • Transmission de l’histoire familiale et des repères aux générations plus jeunes

Ici, le sentiment d’utilité se double d’affection. Ce n’est pas toujours “être actif” dans le sens traditionnel, et pourtant cela joue un rôle irremplaçable.

Peut-on se sentir utile sans être sans arrêt “en action” ?

La valeur sociale, à la retraite, n’est plus seulement indexée sur la productivité et la visibilité. Plusieurs chercheur·es (ex : Anne-Marie Guillemard, sociologue) montrent que l’utilité réside aussi dans la capacité à être disponible, à inspirer, à écouter, à être un repère.

  • L’écoute auprès de proches déprimés, la capacité à accompagner sans geste spectaculaire, ce sont là des façons d’être précieux·se.
  • Nombre de retraité·es se découvrent une utilité dans la contemplation, la présence, l’ancrage dans un réseau.

Prendre soin de soi, de son équilibre, permet aussi d’être disponible pour d’autres. Études après études, la “qualité de présence” est citée comme un fait marquant des relations entretenues avec des seniors engagés, même en retrait des activités animées (source : CNSA, 2021).

Enfin, de plus en plus de personnes âgées osent affirmer que leur sentiment d’utilité vient aussi de l’inspiration qu’elles offrent aux plus jeunes : montrer qu’on peut vieillir actif, curieux, ouvert, brise un certain nombre de préjugés.

L’utilité ne se décrète pas : elle s’invente

Ni injonction à l’activité forcenée, ni éloge du retrait silencieux : l’important est peut-être que chacun puisse inventer, réinventer, le sens de son utilité.

Quelques pistes issues des retours de terrain :

  1. Se donner le droit d’essayer : participer à une permanence associative, proposer une sortie à d’autres voisins, tester un atelier, même sans certitude d’y adhérer, permet d’évaluer ce qui fait résonance.
  2. Oser ralentir pour mieux choisir : l’utilité, ce n’est pas remplir son agenda à tout prix, mais choisir ses engagements pour qu’ils apportent satisfaction, non lassitude.
  3. Écouter ses proches : souvent, les petites demandes de la famille ou du voisinage révèlent des besoins immenses (une simple course, un coup de main pour un adolescent en plein doute…).
  4. Valoriser ce que l’on transmet sans s’en rendre compte : l’humour, l’expérience d’une crise traversée, la capacité à rassurer ou à relativiser… Voilà aussi des richesses “utiles”.

En Suisse, de nombreuses communes emploient des “pairs-aidants seniors” qui servent de relais bienveillance au quartier sans cahier des charges strict – une piste à creuser en France, où les expérimentations grandissent (voir Silver Économie).

L’impact de l’utilité des retraité·es sur la société : quelques chiffres frappants

Si la question “faut-il rester actif ?” est si vitale, c'est qu'au-delà de l’individu, elle impacte la collectivité tout entière :

  • Contribution économique : selon France Stratégie (rapport “Le rôle social et économique des retraités”, 2022), les retraité·es engagés dans la vie associative créent chaque année l’équivalent de 1,4 milliard d’euros de valeur ajoutée, non marchande mais essentielle au tissu social.
  • Soutien à la cohésion intergénérationnelle : 60% des associations accueillant des retraité·es indiquent qu’ils sont les principaux moteurs de la transmission (métier, manuel ou savoir-vivre).
  • Source d’innovation : Les “start-ups d’expériences” émergent : outils numériques pour les seniors, plateformes d’échange de services, groupes d’auto-formation numérique animés par et pour les retraité·es (voir SeniorLab, 2023).

Il est frappant de constater qu’au Japon, où près de 29% de la population a plus de 65 ans, l’engagement des retraité·es dans des formes diverses d’action (du conseil municipal au club local) est considéré comme le secret de la “longévité heureuse” (Japan Gerontological Evaluation Study, 2022).

L’avenir appartient à ceux qui inventent leur utilité

Chacun et chacune possède sa propre façon de s’engager, de vibrer, de transmettre. Que l’on soit vétéran du militantisme, gardienne·en d’histoire familiale ou champion·ne de la solidarité de voisinage, l’essentiel est d’oser explorer. Parfois, l’utilité se révèle où on ne l’attend pas : dans un sourire, une astuce partagée, ou un projet collectif lancé sur le tard. À l’heure où la société redécouvre l’immense valeur des expériences retraitées, il n’a jamais été aussi inspirant d’inventer, à tout âge, sa propre façon d’être utile.

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