Se réinventer après la vie active : comprendre l’attachement à son identité professionnelle

13 mai 2025

Un attachement qui ne doit rien au hasard : la puissance d’une identité forgée au fil des années

Pour beaucoup, la retraite marque la fin d’une ère. Mais ce n’est pas seulement la cessation d’une activité rémunérée : c’est aussi, et surtout, le moment où s’opère un profond bouleversement de l’identité. Car le travail n’est pas un simple gagne-pain. Pendant des décennies, il façonne nos journées, nos relations, notre utilité sociale, notre statut. Selon une enquête menée par France Stratégie en 2022, 62% des Français placent l’activité professionnelle parmi les trois éléments les plus constitutifs de leur identité personnelle.

Cet attachement est aussi le fruit d’une culture : notre société attribue depuis longtemps une forte valeur à la réussite professionnelle, à l'engagement dans le travail, parfois au détriment d’autres rôles sociaux. C’est une clé d’explication ; mais il y en a d’autres, plus profondes encore.

Pourquoi se détacher de son identité professionnelle est-il si difficile ?

Le sentiment d’utilité et de reconnaissance

Le travail est souvent source d’utilité, de contribution et de reconnaissance. Il n'est pas rare d'entendre : “Je me sens utile à travers mon métier”, ou “On vient vers moi pour mon expertise”. Selon une étude menée pour l’Observatoire de la Vie au Travail, 78% des actifs déclarent que leur travail leur procure un sentiment d’accomplissement et de fierté. Ce sentiment, précieux, vient tisser petit à petit une partie de notre identité.

Le lien social, pilier invisible de la vie professionnelle

L’un des grands bouleversements du passage à la retraite, c’est la modification (voire la disparition) des interactions quotidiennes. Le lieu de travail, c’est une communauté, des rituels, une dynamique collective. La DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) rappelle que l’emploi est l’un des premiers vecteurs de socialisation chez les 50-64 ans.

  • Café du matin
  • Réunions autour d’un projet
  • Échanges informels avec les collègues
  • Petits rituels qui rythment la semaine

Quand tout cela disparaît, c’est parfois le sentiment d’appartenance à un collectif qui est mis à mal.

Une place dans la société : le statut et l’image

Être “en activité”, c’est occuper une place facilement identifiable. D’ailleurs, la question “Que fais-tu dans la vie ?” est l’une des plus posées en France. Passer d'une réponse claire à une explication plus floue bouscule nos repères. Les chercheurs en psychologie du travail Philippe Carré et Martine Fournier montrent que le statut professionnel, au-delà du salaire, joue un rôle majeur dans la perception de soi et la façon dont autrui nous regarde.

Des freins psychologiques et culturels ancrés

  • La peur du vide ou de l’inutilité : Beaucoup redoutent ce moment de « désert » entre la vie active et la retraite, où le sentiment d’inutilité guette.
  • Un imaginaire collectif : Longtemps, la retraite a été synonyme de retrait, de fin d’utilité sociale. Cette vision pèse encore dans les représentations collectives.
  • Un manque de préparation : Selon le baromètre Malakoff Humanis 2023, plus de 50% des futurs retraités se sentent mal préparés à la transition identitaire induite par la retraite.

On le voit : la difficulté de se détacher de son identité professionnelle n’est pas le signe d’une faiblesse. Elle est normale, héritée de nombreuses années d’investissement, mais aussi de normes sociales qui valorisent le « faire », le « produire », l’appartenance.

La traversée : stratégies et pistes pour naviguer la transition

Identifier ce que l’on souhaite garder… et ce dont on veut se libérer

Le détachement de l'identité professionnelle n’implique pas d’effacer tout ce qui a fait notre parcours. Il s'agit plutôt de faire le tri, de discerner :

  • Ce que l’on souhaite transmettre (savoir-faire, mentoring, bénévolat)
  • Les valeurs qui nous animent vraiment (entraide, créativité, engagement…)
  • Les routines ou postures que l’on est prêt(e) à transformer

Dans une étude de l’INSERM, près de 43% des retraités se sont engagés dans une activité associative ou de bénévolat dans les quatre ans suivant le passage à la retraite. Une façon, pour beaucoup, de transposer leurs compétences à de nouveaux terrains.

Bousculer son regard : la retraite, une “nouvelle première fois”

Plutôt que de subir la fin d’une étape, pourquoi ne pas la considérer comme l’occasion de se réinventer ? De nombreuses personnes témoignent que la retraite a été le moment de “recommencer une vie” : reprise d’études, implication dans la vie locale, créations artistiques, voyages solidaires… Le sociologue Serge Guérin rappelle que les retraités sont parmi les acteurs les plus engagés dans le tissu associatif français.

Quand le passé professionnel devient une force : exemples inspirants

  • Danièle, ex-infirmière, 66 ans : Après 40 ans d’exercice, elle s’engage dans une association d’accompagnement à domicile pour les personnes âgées isolées. Son expérience de l’écoute et du soin est immédiatement reconnue.
  • Jean-Pierre, ancien ingénieur, 63 ans :Il anime désormais des ateliers de robotique dans une MJC, contribuant ainsi à la transmission de la culture scientifique auprès des jeunes.
  • Fatima, ex-commerçante, 60 ans :Elle s’investit dans le conseil municipal de son village et lance un marché de producteurs locaux, profitant de son réseau et de ses compétences en animation commerciale.

Ces trajectoires témoignent de la richesse de ce passage : votre identité professionnelle ne disparaît pas, elle peut se transformer en moteur pour d'autres engagements.

L’impact du regard de l’entourage… mais aussi de la société

Une des clés pour vivre sereinement ce virage est le soutien. L’isolement aggrave les difficultés à se réinventer. Selon l’Observatoire des retraités AG2R La Mondiale (2021), 46% des jeunes retraités considèrent que l’accompagnement par leurs pairs ou des associations est déterminant pour réussir cette transition.

Faire évoluer son regard, partager ses doutes et ses envies avec d’autres peut transformer la peur du vide en appétit de nouveauté. Et le dialogue avec les proches, mais aussi avec la société, est essentiel pour bâtir une nouvelle identité ouverte sur le monde.

Quels leviers pour s’affirmer autrement ?

  1. Valoriser son parcours : Écrire sa trajectoire, transmettre son expérience, pourquoi pas par le mentorat ou le bénévolat.
  2. Se confronter à de nouveaux défis : Apprendre une nouvelle compétence, reprendre des études, s’essayer à l’art ou à l’artisanat.
  3. Prendre sa place dans de nouveaux réseaux : Clubs de lecture, associations sportives, collectifs citoyens… autant d’espaces pour tisser d’autres liens.
  4. Prendre du temps pour soi : Se reconnecter à ses envies, à ses besoins, explorer de nouveaux horizons personnels.

L’après-vie active : l’expérience au service du collectif

Le défi du détachement de l’identité professionnelle est bien réel, mais il ouvre une formidable opportunité : celle de retrouver du sens ailleurs, de contribuer autrement, de devenir des moteurs pour notre environnement. L’engagement, sous toutes ses formes, donne la preuve que l’expérience acquise ne se perd pas : elle irrigue la société, elle se partage, elle inspire.

En transformant la nostalgie en appétit de vivre autrement, en s’autorisant à être débutant à nouveau, chacun peut trouver une place créative, utile et vivante. Ce qui semblait une perte peut devenir un élan.

  • France Stratégie, "Les Français et le travail", 2022
  • Observatoire de la Vie au Travail, enquête 2021
  • DREES, "La socialisation professionnelle avant la retraite", rapport 2022
  • Philippe Carré, Martine Fournier, "Les enjeux identitaires du travail", Revue Française de Sociologie, 2018
  • Baromètre Malakoff Humanis, édition spéciale retraite, 2023
  • INSERM, "Vie associative après la retraite", 2021
  • Serge Guérin, "Les Boomers et le bénévolat : nouveaux retraités, nouvelles causes", La Tribune, 2022
  • Observatoire des retraités AG2R La Mondiale, rapport 2021

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