Retraite : Apprendre à écouter ses vraies envies au-delà de ses anciens réflexes professionnels

23 juin 2025

Savoir se réinventer : l’enjeu clé du passage à la retraite

Lorsqu’on franchit le cap de la retraite, la tentation de “remplir” ses journées est forte. Réunions, objectifs, horaires, deadlines… Notre vie professionnelle laisse des traces indélébiles dans notre façon d’envisager le temps libre. Or, si la retraite est une formidable opportunité pour poursuivre son engagement sous d’autres formes, elle est aussi le moment de s’interroger : ce qui motive mes choix aujourd’hui, est-ce vraiment ce qui me fait vibrer, ou simplement le prolongement de vieilles habitudes ?

Faire la différence entre nos envies profondes et les habitudes héritées du travail est un pas essentiel vers une retraite épanouissante et alignée. Pourtant, ce n’est pas toujours facile de discerner l’un de l’autre. Voici des pistes concrètes pour entamer ce travail d’exploration – et retrouver, pas à pas, le sens du mot “jubilation”.

Pourquoi est-il si difficile de distinguer ses véritables envies ?

  • Le poids du passé professionnel. Après des décennies de travail, il est fréquent de reproduire spontanément les schémas qui structuraient nos semaines : se fixer un agenda, rechercher la productivité, valoriser l’utilité immédiate. Selon le rapport "Le passage à la retraite" de la DREES (2022), près de 60% des nouveaux retraités déclarent avoir ressenti au moins une fois un “vide de sens” ou la peur de l’inactivité au début de leur retraite (DREES - page 18).
  • Les attentes sociales. Le regard porté sur les retraité·es est parfois ambivalent : actif signifie “utile”, retraité peut rimer avec “inactivité” – alors même que 54% des retraité·es assurent des tâches bénévoles, familiales ou associatives selon l’Insee (2020). Il peut être difficile d’abandonner l’impératif de rentabilité, même psychologiquement.
  • Le manque d’habitude d’écouter ses désirs profonds. Entre famille, carrière et responsabilités, nombreux sont ceux qui n’ont guère eu le loisir d’explorer leurs véritables aspirations. À l’heure de la retraite, ces désirs semblent parfois enfouis sous des couches d’habitudes.

Envies profondes ou habitudes héritées : comment les reconnaître ?

Une question utile à se poser : “Est-ce que je choisis cette activité parce qu’elle m’enthousiasme aujourd’hui ou parce que c’est ce que j’ai toujours fait/ce qu’on attend de moi ?”

Quelques indices pour y voir plus clair

  • Les envies profondes :
    • Génèrent de la joie ou de la fierté avant, pendant et après l’activité
    • S’accompagnent d’un sentiment d’épanouissement plus que de soulagement
    • Peuvent entraîner la découverte ou l’apprentissage de nouvelles choses
    • Sont indépendantes du regard des autres
  • Les habitudes héritées :
    • S’installent souvent “par défaut” au fil de la routine
    • Peuvent donner l’impression de “combler le vide” sans réel plaisir
    • Génèrent parfois frustration ou fatigue, voire une lassitude
    • Reproduisent des rôles familiers (chef d’équipe, expert, donneur de conseils) sans remise en question

Cette distinction peut sembler théorique. Pour l’ancrer dans le concret, rien ne vaut l’expérience : il est possible de tester, observer, noter ses ressentis.

Exercices pratiques pour faire émerger ses vraies envies

Tenir un carnet d’exploration

  • Chaque matin, noter brièvement l’activité que l’on a envie de faire, sans se censurer. En fin de semaine, relire les notes et repérer les motifs récurrents.
  • Après chaque activité (lecture, bénévolat, randonnée, jardinage, atelier, etc.), attribuer une note de satisfaction et décrire en une phrase le ressenti.
  • Laisser émerger ses propres tendances : lesquelles sont dictées par le besoin d’occuper son temps ou de recevoir une reconnaissance extérieure ? Lesquelles donnent l’impression de “se retrouver” ?

La méthode des trois colonnes

Activités envisagées Pourquoi je veux les faire ? Comment je me sens en y pensant ?
M’engager dans une association Avoir un impact, me sentir utile, rencontrer d’autres personnes Curieux(se), motivé(e), un peu inquiet(e)
Continuer à encadrer des ateliers (comme avant) On me sollicite souvent ; ça ressemble à ce que je faisais avant Mitigé(e), moins d’enthousiasme qu’avant
Apprendre la poterie Curiosité, envie de créer de mes mains Heureux(se), excité(e), impatient(e)

Cet exercice permet de révéler ce qui vient de soi, et non de l’extérieur.

L’influence des habitudes de travail sur la retraite

  • La valorisation du temps plein. D’après l’Observatoire de la Retraite, près de 39 % des jeunes retraité·es surinvestissent leurs agendas les premières années, par crainte du “vide”. Or, apprendre à ralentir, à goûter l’improductif, peut être source de nouvelles découvertes.
  • La peur de perdre sa valeur. Selon l’enquête France Bénévolat/IFOP (2023), 29% des retraité·es s’engagent dans des activités proches de leur ancien métier. Rien de mal à cela, bien sûr, mais la question mérite d’être posée : cela nourrit-il un sentiment d’utilité ou cela bloque-t-il d’autres expérimentations ?

Retraite et utilité : vers de nouveaux engagements ?

Loin d’opposer engagement et envie personnelle, la retraite invite à redéfinir le sens de ses actions. On n’est pas obligé de devenir “coach involontaire” pour les plus jeunes ou de se relancer dans des responsabilités similaires à celles de sa carrière. C’est le moment de réinventer ce que “l’utilité” signifie pour soi :

  • L’utilité sociale peut passer par de petites actions : tutorat scolaire, présence amicale, soutien à des causes, engagement local.
  • L’utilité artistique ou créative reprend une place chez ceux qui n’avaient jamais eu le temps de créer pour eux-mêmes.
  • L’utilité intime (prendre soin de sa santé mentale et physique, explorer la spiritualité, transmettre ses histoires) compte aussi. L’OMS souligne que l’autonomie et la reconnaissance de ses choix sont fortes contributrices d’un vieillissement en bonne santé (Source OMS).

Sortir du “pilotage automatique” hérité du travail

C’est parfois déstabilisant d’abandonner une part de son identité professionnelle. Pourtant, c’est aussi l’occasion de se surprendre soi-même. Pourquoi ne pas :

  1. Troquer son emploi du temps rigide contre des plages de liberté et d’errance créative, sans culpabiliser ?
  2. S’autoriser à tester ce que l’on a rarement eu “le droit” d’essayer (chant, voyage solidaire, potager, écriture, musique, etc.) ?
  3. Interroger ses propres besoins et désirs avec curiosité, sans s’imposer de rentabilité ou d’utilité immédiate ?

En 2017, une étude de la Harvard Medical School (Harvard Medicine Magazine) a montré que les personnes explorant de nouveaux loisirs à la retraite connaissaient une diminution du stress et une augmentation du sentiment de maîtrise de leur vie.

Pistes pour garder le cap sur ses envies profondes

  • Se donner régulièrement des “bilans de satisfaction” : à la fin de chaque trimestre, faire le point sur ce qui a procuré de la joie réelle, versus ce qui a simplement “rempli une case” dans l’agenda.
  • Challenger l’idée reçue selon laquelle “la valeur est dans la productivité” ; la contemplation, la lenteur ou le jeu sont aussi précieuses.
  • Rencontrer d’autres retraité·es pour échanger sur leurs cheminements ; les expériences croisées ouvrent de nouveaux horizons.
  • Oser abandonner des activités qui n’ont plus de sens – même si elles étaient centrales avant.

De la transmission à l’exploration : élargir le spectre

Les savoir-faire et savoir-être acquis pendant la vie professionnelle n’ont rien perdu de leur valeur. Mais ils ne doivent pas devenir des chaînes. La transmission, qu’elle soit formelle (mentorat, animation d’atelier) ou informelle (témoignages, partage d’expériences), peut être repensée non comme un devoir, mais comme une opportunité librement saisie. S’autoriser à explorer de nouveaux territoires est, d’une certaine façon, la meilleure manière d’inspirer ceux qui nous entourent.

Choisir le temps de la “jubilación” : une liberté retrouvée

Prendre le temps d’interroger ses envies, laisser de côté l’“automatisme professionnel”, c’est réinventer le rapport au temps et aux engagements : il ne s’agit plus d’être utile “comme avant”, mais d’être vivant, créatif, acteur de son présent. Chacune et chacun peut, à sa façon, trouver sa manière de s’impliquer – en choisissant ce qui le nourrit vraiment.

La retraite n’est pas une copie conforme de la vie professionnelle ni une pause forcée. C’est ce qui fait toute sa richesse : une étape où l’on peut apprendre à se connaître autrement, et s’offrir, enfin, la pleine liberté d’agir… ou de ne rien faire, si c’est ça, sa véritable envie.

En savoir plus à ce sujet :