Retraité·e, et maintenant ? Redéfinir la reconnaissance après le travail

26 mai 2025

Perte de reconnaissance : un phénomène souvent sous-estimé

Terminer sa carrière professionnelle, c’est parfois sentir qu’une page se tourne brutalement, mais aussi que quelque chose d’essentiel s’efface : la reconnaissance quotidienne par le regard des collègues, la valorisation des compétences, la place occupée dans la société. Ce « changement de statut » n’a rien d’anodin. Selon une vaste enquête menée en 2022 par la DREES, près de 44 % des jeunes retraité·es disent ressentir un manque de reconnaissance après la fin de leur activité professionnelle (DREES).

On parle de « souffrance de l’inutilité » : un sentiment différemment vécu selon le secteur d’activité, le genre ou le niveau de responsabilité. Ce sentiment trouve aussi ses racines dans la société française où la valeur de l’individu est souvent étroitement liée à son utilité professionnelle (voir aussi les analyses de Serge Guérin, sociologue, et de l’Observatoire du Bien-Vieillir). Mais cette vision, à l’ère des transitions démographiques et sociales, est en train d’évoluer.

Distinguer reconnaissance professionnelle et reconnaissance personnelle

La reconnaissance professionnelle, c’est la valorisation reçue au travail : promotions, félicitations, sentiment d'être nécessaire à l’équipe. Elle structure le quotidien pendant parfois plusieurs décennies. En revanche, à la retraite, ce type de reconnaissance tend à disparaître, laissant un vide parfois difficile à combler. Or, la reconnaissance est aussi affaire de relations, d’utilité ressentie… Elle ne se limite pas au monde du travail ! Elle peut renaître et s'inventer ailleurs.

  • Reconnaissance sociale : sentiment de compter pour autrui, de participer à la société — via le bénévolat, l’engagement, la transmission.
  • Reconnaissance personnelle : estime de soi, fierté de ses compétences et nouveaux choix (projets artistiques, accompagnement familial, création d’entreprises sociales, etc.).

Un chiffre marquant : selon France Bénévolat, en 2023, plus de 40 % des bénévoles en France ont plus de 60 ans, prouvant que la soif de reconnaissance et d’utilité agit toujours, même après la retraite (France Bénévolat).

Pourquoi la reconnaissance « au travail » manque autant ?

Côté psychologique, plusieurs mécanismes expliquent la difficulté à faire le deuil de la reconnaissance professionnelle :

  • L’effet miroir : Le travail agit comme miroir social, validant la place de chacun dans le collectif. Sa disparition peut entraîner la remise en question : « Ai-je encore de la valeur ? »
  • Le rythme structurant : L’activité professionnelle structure la semaine, les années, crée des habitudes, et socialise. La reconnaissance provient aussi de cette dynamique — réunions, résultats, objectifs atteints, liens informels.
  • L’identité professionnelle : Beaucoup disent « je suis médecin », « je suis enseignante », même à la retraite. Ce titre disparu bouscule la construction de soi.

Un rapport du CEREQ de 2021 rappelle que près d’un quart des jeunes retraités déclarent « ne pas se sentir attendus » dans un nouvel environnement, d’où l’importance de recréer du lien et du sens (CEREQ).

Transformer la perte en opportunité : des pistes concrètes

1. L’engagement bénévole et associatif : donner, recevoir… et exister

Le bénévolat est plébiscité parce qu’il permet de réactiver un cercle vertueux : on agit pour autrui, on retrouve la reconnaissance du groupe, on partage un projet commun. Mais il ne s’agit pas seulement de « s’occuper » : s’engager, c’est aussi être reconnu·e pour des compétences spécifiques, transmettre un savoir-faire, ou simplement être une présence bienveillante. Selon l’INJEP (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire), 47 % des plus de 65 ans engagés dans le bénévolat estiment que leur expérience personnelle est mieux reconnue dans ce cadre qu’au travail (INJEP).

  • Donner des cours d’alphabétisation
  • Participer à la gouvernance d’une association
  • Accompagner des jeunes créateurs d’entreprise
  • Pousser la porte d’un centre social, d’un jardin partagé, d’un club sportif…

Autant de façons d’être reconnu·e, avec une valeur ajoutée, dans des communautés nouvelles.

2. La transmission intergénérationnelle : être utile autrement

L’un des plus grands leviers de « récupération » de reconnaissance : transmettre. Ce geste universel, longtemps cantonné à la sphère familiale, devient aujourd’hui un enjeu social majeur. Selon une étude du Credoc pour AG2R-La Mondiale (2021), 69 % des retraité·es jugent que la transmission de leur expérience aux jeunes générations représente la meilleure façon de se sentir encore utile.

  • Mentorat, parrainage : De nombreux dispositifs (comme Proxité, Article 1) recherchent des seniors pour partager leur expertise et leur temps avec des jeunes.
  • Passerelle école-entreprise : Intervenir pour parler de son métier, des valeurs professionnelles. Faire tomber les clichés et ouvrir les horizons. Un rapport de l’Éducation nationale (2022) montre que 6 jeunes sur 10 voient dans la rencontre avec un retraité “mentor” un facteur d’inspiration important.
  • Ateliers intergénérationnels : Cuisine, musique, jardinage : chaque savoir-faire transmis devient une source de reconnaissance et de lien.

3. Se redécouvrir en dehors du cadre professionnel

La reconnaissance passe aussi par le regard que l’on porte sur soi. Près de 53 % des nouveaux retraités déclarent avoir, dans les deux premières années sans emploi, tenté une activité restée jusque-là en suspens : écriture, photo, sport, artisanat, formation universitaire (source : Baromètre Malakoff-Humanis 2023). S’autoriser à se réinventer, à explorer d’autres passions ou expertises, génère une reconnaissance nouvelle, tournée vers ce que l’on devient, plus que ce que l’on a été.

  • Reprendre une formation pour le plaisir ou la curiosité (ex. universités du temps libre : plus de 90 000 inscrits en 2023, selon France Universités).
  • Créer un blog, écrire un livre, exposer une œuvre — parce que la reconnaissance publique peut venir d’ailleurs que de l’ancien lieu d’activité.
  • Rejoindre un collectif (groupes de paroles, ateliers…) permet de mettre en commun et d’être valorisé·e par ses pairs.

Reconnaissance : et si on en reparlait ?

Le débat sur la reconnaissance à la retraite doit quitter l’opposition entre « actif » et « inactif ». De nombreux chercheurs (notamment le CNAV, 2022), insistent sur l’urgence de repenser ce passage. Les politiques publiques s’en emparent peu à peu : en 2023, plusieurs régions ont mis en place des « Maisons des Seniors » encourageant la participation citoyenne et la valorisation des compétences acquises. Autre point d’appui : la Suède et les Pays-Bas favorisent l’implication des retraités dans les conseils municipaux, renforçant leur reconnaissance sociale, et montrent une baisse significative des symptômes dépressifs liés à la retraite (étude Eurofound, 2021).

Être reconnu·e, ce n’est plus seulement être productif, mais rester contributeur·rice. Il s’agit de redéfinir les critères de valorisation de l’expérience et d’inventer une société où chaque étape de vie a sa place, où l’on n’est pas « à la retraite » de la vie citoyenne.

Quelques clés pour cultiver la reconnaissance, même après la vie professionnelle

  1. Identifier ce qui vous a toujours valorisé : Au-delà du poste, qu’est-ce qui vous donnait le sentiment d’être utile ? L’écoute, l’analyse, la précision, la création ?
  2. Accepter de devoir (parfois) recommencer petit : Changer de cadre implique d’être débutant·e, de retrouver l’humilité et la curiosité. On n’est pas expert partout… et c’est tant mieux.
  3. Oser demander du feedback : Dans vos nouvelles activités, demandez un retour, une appréciation honnête. Beaucoup d’associations recrutent aussi pour ce regard neuf, cette énergie et cette loyauté.
  4. Distinguer la reconnaissance sociale de l’approbation familiale : On ne cherche pas la même chose auprès de ses proches que dans une nouvelle communauté élargie. Multipliez les occasions de faire valoir vos talents.
  5. Garder une trace de ses petites victoires : Tenez un carnet des réussites, engagements ou remerciements reçus. Ils constituent la trame d’une reconstruction valorisante.

L’avenir s’écrit après la vie active

La perte de reconnaissance liée à l’arrêt du travail est une réalité, mais elle n’est pas une fatalité. La retraite peut devenir le prolongement d’un engagement, d’un esprit d’initiative et d’une joie d’apprendre. Les sociétés qui savent mettre en valeur la compétence et l’envie des retraité·es en ressortent plus riches, plus justes, plus créatives.

Chacun possède des ressources singulières à valoriser ; chacun peut choisir sa façon particulière de « compter » — pour ses proches, dans la cité, dans le monde. L’arrêt du travail ne signe pas la fin de la reconnaissance, mais l’ouverture vers d’autres façons, peut-être encore plus authentiques, d’être utile… et reconnu·e.

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