Réinventer son identité après la vie active : du faire à l’être

9 juin 2025

L’identité professionnelle : une histoire de “faire”

Pendant des décennies, le travail structure notre quotidien, mais aussi notre identité. On se définit par ce que l’on fait : infirmière, enseignant, consultant, commerçante… Cette question “Qu’est-ce que tu fais dans la vie ?” revient sans cesse, et, plus rarement, “Qui es-tu ?”. Le “faire” donne une place, un statut, valorise l'action. Selon une enquête du CSA pour Malakoff Médéric (2018), 75% des personnes interrogées déclaraient que leur activité professionnelle occupait une place centrale dans leur vie et leur image d’eux-mêmes.

À l’heure de la retraite, ce socle s’efface. Ce grand basculement identitaire n'est pas anodin. Selon le rapport “Transitions et trajectoires de vie” (Cnav, 2020), près d’1 retraité·e sur 3 dit avoir eu du mal à passer ce cap, surtout dans les six premiers mois. La raison principale ? La perte de repères, de réseau, et la difficulté à se définir autrement que par le métier exercé.

Pourquoi la bascule vers “l’être” est-elle essentielle ?

Après la carrière, la question n’est plus de produire, mais de se (re)découvrir. La société valorise souvent la performance, l’action, mais néglige parfois la richesse de “l’être” : ce que l’on incarne, transmet, partage. Ce changement est essentiel pour plusieurs raisons :

  • Santé mentale : Adopter une vision plus large de soi-même protège contre le sentiment de vide, voire la dépression (source : Inserm, 2021).
  • Relations sociales : Se recentrer sur l’être, c’est s’ouvrir à de nouvelles manières d’entrer en lien, et sortir des cercles liés à l’activité professionnelle.
  • Engagement citoyen : Les compétences et qualités développées durant la vie active deviennent des ressources précieuses pour la société, selon le rapport “Vieillir ensemble” de France Stratégie (2019).

Du “faire” au “être” : comprendre ce que cela signifie concrètement

Passer de l’identité de “faire” à celle d’“être”, ce n’est pas abandonner l’action, mais la replacer dans une perspective plus large : celle du sens, de l’impact, de la transmission. Quelques exemples pour éclairer cette transition :

  • Faire, c’est : “Je suis médecin”, “J’organise des formations”, “Je gère une équipe”.
  • Être, c’est : “Je soutiens la santé et le bien-être”, “Je transmets mes connaissances”, “J’accompagne les projets des autres”.

Cette redéfinition de l’identité est un mouvement. Au Canada, un programme comme “Encore Fellows” propose aux nouveaux retraité·es de réfléchir à leurs valeurs, leurs motivations profondes, pour déployer autrement leur expérience (source : Encore.org).

Étapes et clés pour réinventer son identité à la retraite

1. Accepter le changement et ses émotions

Le changement de rythme, la perte de statut, parfois la peur de l’inutilité sont des réactions normales. Mettre des mots dessus, en parler autour de soi ou à des professionnel·les (psychologues, associations comme France Bénévolat) aide à mieux les traverser.

Selon une étude du ministère du Travail (Dares, 2022), près de la moitié des nouveaux retraités ressentent un “flottement identitaire” durant la première année. Ce flou, loin d’être une faiblesse, est le point de départ d’une transformation personnelle.

2. Évaluer ses envies, compétences et valeurs

Maintes ressources existent pour aider ce bilan : ateliers de préparation à la retraite (CNAV, CARSAT, Agirc-Arrco), dispositifs d’accompagnement individuel, voire MOOC spécialisés (par exemple “Bien vivre sa retraite, mode d’emploi” sur FUN-MOOC).

  • Qu’est-ce qui m’anime au-delà de mon métier ?
  • Quelles valeurs ai-je envie de mettre en œuvre ?
  • Quelles compétences puis-je valoriser différemment ?

Un outil simple : faire une liste de “J’aime faire” et une autre de “Ce que je veux transmettre”, pour repérer les ponts possibles entre l’ancien et le nouveau soi.

3. Se confronter à la diversité de nouveaux horizons

L’après-carrière est souvent l’occasion d’inventer de nouveaux rôles : mentor, bénévole, artiste, sportif, grand-parent engagé… Quelques chiffres illustrent la richesse de l’implication des retraité·es :

  • 34% des plus de 60 ans sont bénévoles dans au moins une association en France (source : IFOP, 2022)
  • 45% participent régulièrement à des activités collectives (université du temps libre, ateliers solidaires…)
  • Les seniors représentent près de la moitié des aidants familiaux (CNSA, 2021)

Ce pluralisme d’engagement montre que l’être ne se résume pas au retrait, mais au contraire à une disponibilité nouvelle, tournée vers des causes choisies librement.

Expériences inspirantes : des retraité·es qui ont osé être autrement

Des figures familières et anonymes montrent chaque jour la voie du possible :

  • Maria, ex-professeure des écoles à Lyon, a créé un atelier d’écriture intergénérationnel. “Maintenant, je suis une passeuse d’histoires. Je ne fais plus classe : je crée du lien”, explique-t-elle au média Reporterre (dossier : Retraite, et après ? 2022).
  • André a lancé une micro-entreprise de réparation de vélos pour jeunes précaires, réinventant sa passion du bricolage en utilité sociale. “Je ne travaille plus pour gagner ma vie, je me sens relié”, disait-il à France Bleu Isère (2023).
  • Laurence, ancienne cheffe de service hospitalier, anime des groupes de méditation pour seniors : “J’étais dans l’urgence, aujourd’hui je suis présente, à moi, aux autres.”

Ces portraits prouvent que l’être ne signifie pas immobilité ou retrait, mais une manière renouvelée de s’impliquer.

Outils et démarches pour cultiver son “être”

Toute transformation a besoin de leviers. Voici quelques pistes concrètes pour engager ce passage :

  1. Explorer l’engagement bénévole
    • Plateformes nationales comme Benevolt, France Bénévolat ou les réseaux associatifs locaux regorgent de missions qui valorisent le savoir-faire, mais aussi le savoir-être.
    • Selon le baromètre “France Bénévolat” 2023, 64% des nouveaux bénévoles seniors cherchent avant tout la convivialité et le sentiment d'utilité.
  2. Transmettre autrement
    • Le mentorat, l’accompagnement d’entrepreneurs (Réussir en France, Les Entreprises pour la Cité), les projets éducatifs et solidaires (Lire et Faire Lire) sont des terrains d’épanouissement où l'expérience professionnelle devient une ressource citoyenne.
    • Selon l’INJEP (2023), le mentorat intergénérationnel bénéficie aussi bien aux seniors mentor·es (95% disent se sentir valorisés) qu’aux jeunes (baisse du décrochage scolaire).
  3. Développer des activités de bien-être et de création
    • L’art, la pratique physique douce (yoga, marche nordique, jardinage, chant…), ateliers d’écriture ou de photographie cultivent la présence à soi et aux autres.
    • L’UNAF (2021) montre que la création de routines épanouissantes favorise une transition identitaire réussie.
  4. Aller vers l’inconnu et la formation continue
    • Les universités du temps libre, ateliers numériques, stages artistiques sont autant d’opportunités pour conserver le plaisir d’apprendre… et d’être toujours en chemin.
    • Selon l’Insee (2023), 38% des 65-74 ans suivent au moins une formation non professionnelle après la retraite, preuve d’une identité dynamique et curieuse.

Changer de regard sur soi : quelques pratiques simples

  • Au lieu de répondre à “Qu’est-ce que tu fais ?”, questionnez-vous : “Qu’est-ce que j’ai envie d’apporter, de vivre, de partager aujourd’hui ?”
  • Notez chaque semaine trois moments où vous avez “été” plus que “fait”. Par exemple, un échange bienveillant, une aide spontanée, un plaisir simple savouré.
  • Essayez la méditation de pleine conscience (nombreuses ressources gratuites en ligne, telles que Petit BamBou, Mindfulness-France…).
  • Construisez votre “porte-folio de l’être” : souvenirs marquants, valeurs chères, talents insoupçonnés, pour vous aider à redéfinir vos forces au quotidien.

Faire société autrement, après la carrière

Derrière cette bascule du “faire” vers “l’être” se joue aussi une question de société. Les retraité·es représentent aujourd’hui plus d’un quart de la population française (Insee, 2023) et détiennent 46% du patrimoine privé. Leur rôle comme piliers de solidarités locales, passeurs de mémoire, acteurs de dialogue intergénérationnel, est déjà crucial. Face aux défis sociaux et environnementaux, la mobilisation de ces expériences devient une nécessité. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE, rapport 2021) souligne l’enjeu de “reconnaître et valoriser le pouvoir d’agir des seniors” dans la transition vers une société apaisée et inclusive.

Rêver l’étape d’après…

Réinventer son identité après la carrière n’est pas renoncer à l’action ; c’est l’ancrer dans l’être, le sens, la relation. Les retraité·es sont la preuve que l’impact ne se mesure pas uniquement à l’activité ou au statut, mais à la capacité de se relier, transmettre, inspirer. Et si, dans ce “temps de la jubilación”, on s’autorisait à être, pleinement ? Non pas pour fuir l’action, mais pour choisir sa manière d’habiter le monde. Un pari personnel… et collectif.

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