Repenser la retraite : un temps d’action et de transmission
Pendant longtemps, la retraite a été perçue comme un point final, le moment où l’on ralentit. Pourtant, chaque année, plus de 700 000 personnes partent en retraite en France (INSEE, Bilan démographique 2022). Jamais notre société n’a compté autant de personnes expérimentées, en bonne santé, disponibles, avec l’envie de s’impliquer. Ce changement d’échelle, couplé à l’allongement de l’espérance de vie (près de 20 ans en moyenne après 60 ans : Drees, 2022), invite à repenser ce « nouvel âge » comme un espace d’engagement, d’utilité et d’accomplissement.
Le secret n’est pas de remplir son temps, mais de lui donner du sens. Alors, quels rôles jouer une fois la page professionnelle tournée ? Voici un tour d’horizon concret, inspirant, et, espérons-le, déclencheur d’idées !
Partager et transmettre : la valeur inestimable de l’expérience
Le mentorat : un rôle plébiscité
Près de 30 % des retraité·es déclarent vouloir accompagner des plus jeunes, selon une enquête de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav, 2021). Le mentorat, qu’il soit professionnel ou simplement humain, rencontre un écho croissant.
- Le mentorat professionnel : Associations comme Mentorat France ou EPA France mobilisent des retraité·es volontaires pour coacher jeunes créateurs, étudiants ou personnes en reconversion. Selon France Bénévolat, 15 % des bénévoles seniors sont engagés dans ce type d’actions.
- La transmission informelle : Conseiller son entourage, partager ses savoir-faire dans un club ou une association, contribuer à un atelier d’écriture ou à une organisation locale... Toutes les formes de mentorat sont utiles !
Un témoignage parmi d’autres : Daniel, ex-enseignant, anime désormais des ateliers d’alphabétisation dans une médiathèque de quartier. « On sous-estime les besoins, surtout auprès d’adultes. Partager ce que je sais, c’est aussi apprendre à regarder le monde autrement », confie-t-il (Le Monde, 22 janvier 2023).
L’engagement intergénérationnel
L’intergénérationnel est une force : dans l’aide aux devoirs, les réseaux d’entraide, ou encore avec des projets comme les « colocations seniors-étudiants », où près de 10 000 binômes sont formés chaque année (source : Réseau COSI).
- Jardins partagés, repair cafés : De nombreux collectifs locaux mêlent générations, autour du bricolage, de la cuisine ou du jardinage. C’est l’occasion de transmettre des gestes, et parfois d’apprendre soi-même de nouvelles pratiques.
- Ateliers numériques : 47 % des personnes âgées de plus de 65 ans reconnaissent des difficultés avec les outils numériques (Baromètre du numérique, Arcep, 2022). Les retraité·es formés peuvent jouer un rôle clé pour accompagner leurs pairs… ou apprendre avec leurs petits-enfants !
Devenir acteur·rice de la solidarité : bénévolat et engagement associatif
La France compte 1,3 million de bénévoles retraité·es (source : France Bénévolat, 2023), soit plus d’un bénévole associatif sur trois ! Le passage à la retraite représente souvent le déclic pour franchir le pas vers l’engagement concret, mais les visages du bénévolat ont changé.
- Aide alimentaire : Plus de 40 000 retraité·es œuvrent chaque année pour les banques alimentaires, la Croix-Rouge ou les Restos du Cœur. Leur présence est essentielle, notamment dans des missions de coordination et de logistique, où l’expérience compte.
- Solidarité de proximité : Visites à domicile pour personnes isolées, courses solidaires, médiation de quartier, parrainage civique… Ces petits gestes quotidiens favorisent l’inclusion et recréent du lien social.
- Mécénat de compétences : Des dispositifs comme Pro Bono Lab permettent à des retraité·es de mettre leurs compétences au service d’associations, de jeunes entreprises ou de collectivités, dans des missions ciblées (comptabilité, RH, conseil juridique…). À la clé, plus de 500 000 heures de mécénat en 2022 selon l’association.
Portrait : Claire, 68 ans, bénévole « nouvelle génération »
Après une carrière de directrice de ressources humaines, Claire multiplie les casquettes : accompagnement de femmes en reconversion professionnelle, soutien à une association de théâtre amateur, relais local de la Ligue contre le Cancer. « J’aime l’idée d’alterner les rôles, selon les besoins et les saisons de la vie », explique-t-elle au micro de France Inter (émission "Grand bien vous fasse", 4 avril 2022).
Créer, entreprendre, inventer : quand la retraite rime avec projets
Contrairement aux clichés, l’entrepreneuriat après 60 ans est en plein essor. Selon l’Observatoire de l’Autoentrepreneuriat, 16 % des nouveaux autoentrepreneurs en France ont plus de 60 ans (Insee, 2022). Les motivations ? Liberté, plaisir de concrétiser une passion, envie d’impacter localement.
- Créer son activité : Artisanat, écriture, conseil, formation, services à domicile… La retraite offre le temps d’explorer de nouvelles facettes, sans la pression du salariat.
- Lancer une association ou un collectif : Nombre de clubs de quartier, AMAP, ONG locales voient le jour grâce à des retraité·es porteurs de projet, fédérant d’autres talents autour d’une idée commune.
- Reconvertir son expérience en projets citoyens : Certains choisissent la politique locale, intègrent des conseils municipaux, ou lancent des actions innovantes en milieu rural (ex : ateliers de mobilité solidaire, "café associatif", micro-fermes…).
Cette dynamique gagne du terrain dans l’ensemble des territoires : près de 65 % des créateurs seniors se lancent en dehors des grandes métropoles, souvent pour répondre à des besoins non couverts localement (Étude BPCE L’Observatoire, 2023).
Agir pour l’environnement et le bien commun
La « génération de la transition » : c’est ainsi que certains sociologues décrivent les retraité·es qui s’engagent pour l’environnement. Leur temps, leur expérience de la gestion collective, leur pragmatisme sont un atout pour accélérer les transitions, à toutes les échelles.
- Jardins partagés & initiatives locales : Selon le Réseau National des Jardins Partagés, les personnes de plus de 60 ans représentent plus de 56 % des bénévoles jardiniers. Outre la transmission de techniques, ces seniors impulsent des dynamiques communautaires, entretenir la biodiversité et recréer du tissu social.
- Citoyens du climat : Ateliers de sensibilisation, groupes “Repair Café”, collectifs pour promouvoir le vélo ou les circuits courts… Les retraité·es sont nombreux à s’impliquer dans ces dynamiques écologiques, portées par des valeurs de solidarité et de simplicité volontaire.
L’association Génération Climat note une hausse de 17 % des inscriptions de bénévoles seniors depuis 2019. Beaucoup déclarent y trouver « un sentiment d’utilité, mais aussi une joie d’apprendre avec d’autres ».
Prendre soin de soi… et des autres : la dimension du care
La retraite permet aussi d’explorer des rôles relationnels précieux, souvent invisibles.
- Acteur du lien familial : 52 % des grands-parents participent activement à la garde et à l’éducation des petits-enfants en France, une ressource clé, notamment pour des familles monoparentales (Insee Références, 2021).
- Accompagnant pour des proches en situation de fragilité : Près de 1 retraité sur 5 joue un rôle de "proche aidant". L’accompagnement de la dépendance, la maladie, le handicap, témoignent d’un engagement parfois invisible mais vital.
- Passeur de mémoire, gardien d’histoires : Raconter, transmettre les souvenirs du passé, partager la mémoire d’un quartier, d’un métier… autant de façons de renforcer le sentiment d’appartenance et la compréhension entre générations.
Ce « care » a un vrai impact social : il contribue à la cohésion, au bien-être émotionnel, et au maintien de l'autonomie des plus fragiles.
Se découvrir et cultiver ses passions : l’épanouissement retrouvé
Enfin, la retraite, c’est aussi le temps de cultiver ses propres passions, de se (re)découvrir des talents délaissés.
- Formations universitaires, MOOCs : Près de 100 000 personnes de plus de 60 ans suivent un enseignement à l’université populaire ou en ligne chaque année (source : Université de Paris).
- Pratiques artistiques : Théâtre, photo, dessin, chant, danse… Les associations culturelles recensent une forte hausse de retraité·es dans leurs cours : +21 % entre 2015 et 2022 (Fédération Française des Centres Sociaux).
- Voyages solidaires : De plus en plus de seniors partent à l’étranger dans le cadre de missions solidaires (env. 38 000 chaque année, source Planète Urgence), combinant découverte et utilité.
Se choisir sans s’oublier, explorer sans s’isoler : la retraite, c’est aussi l’art de conjuguer les rôles selon ses envies et ses capacités.
Vers un nouvel âge de l’engagement
La question n’est donc pas “que faire une fois à la retraite ?”, mais “quels rôles ai-je envie d’endosser, seul ou avec d’autres, pour continuer à me sentir utile, relié au monde, acteur de mon temps ?” Ce que révèle l’explosion des initiatives des retraité·es, c’est une formidable palette de possibles, qui n’a rien d’un repli : mentor, bénévole, créateur, soutien familial, militant climat ou passeur d’histoire… À chacun·e de trouver sa voie, à chacun·e d’oser un pas de côté. Car la société de demain a besoin — plus que jamais — de toutes ses forces vives, de toutes ses expériences, de toutes ses voix.
Et si la « jubilación », finalement, n’était rien d’autre qu’un nouveau départ… pluriel et foisonnant ?